Le rôle de l’État dans la formation professionnelle continue : garant, moteur… et parfois complice de dérives ?

Introduction
La formation professionnelle continue est l’un des piliers de la politique de l’emploi et de l’adaptation aux mutations économiques en France. Pour accompagner les actifs dans l’évolution de leurs compétences, soutenir les reconversions ou lutter contre le chômage, l’État joue un rôle central : il oriente, finance, régule et contrôle.
Mais cet engagement fort n’est pas sans faille. Si de nombreux dispositifs ont permis des parcours exemplaires, certaines dérives – fraudes, inefficacités, complexité administrative – ont aussi terni l’image du système. Cet article propose d’examiner le rôle structurant de l’État dans la formation professionnelle, tout en mettant en lumière les points de vigilance qui s’imposent.
1. Un rôle historique et structurant
a) L’État, architecte du système
Depuis les années 1970, la France a fait de la formation professionnelle un outil stratégique pour l’emploi et la compétitivité. L’État a conçu un cadre législatif et financier solide, reposant sur le triptyque : État – partenaires sociaux – organismes de formation.
Les réformes majeures (loi Delors 1971, réforme de 2018 via la loi « Avenir professionnel ») ont constamment renforcé le rôle de l’État dans :
- la définition des politiques de formation (via France Compétences),
- le pilotage des dispositifs nationaux (CPF, Pro-A, CEP, etc.),
- le financement partiel ou total de certaines actions (Pôle emploi, Régions, Plan d’investissement dans les compétences),
- le contrôle qualité des organismes de formation (Datadock hier, Qualiopi aujourd’hui).
b) Un soutien massif à l’égalité d’accès
L’État intervient pour garantir que tous les actifs puissent accéder à la formation, quels que soient leur statut, leur âge ou leur niveau de qualification. Il soutient notamment :
- les publics fragiles (jeunes peu qualifiés, demandeurs d’emploi longue durée, personnes en situation de handicap),
- les entreprises confrontées à des transitions (numérique, écologique, industrielle),
- les territoires défavorisés via les aides régionales.
2. Des outils concrets et puissants
a) Le Compte Personnel de Formation (CPF)
Lancé en 2015, refondu en 2019, le CPF est l’exemple même d’une initiative d’État au service de l’autonomie des individus. Accessible à tous les actifs via une application unique, il permet de choisir et financer une formation certifiante sans passer par l’employeur.
b) France Compétences : pilotage national
Créée en 2019, France Compétences est l’autorité nationale de régulation de la formation professionnelle. Elle veille à la répartition équitable des fonds, à la qualité de l’offre de formation et à la cohérence globale des politiques publiques.
c) La certification Qualiopi
Obligatoire depuis 2022, Qualiopi vise à garantir que les organismes de formation financés par de l’argent public respectent des critères de qualité, de pédagogie, de transparence et de suivi des apprenants.
3. Les limites et dérives du système
a) L’explosion des fraudes au CPF
L’un des échecs les plus marquants concerne la dérive commerciale du CPF. Dès son lancement en version numérique, des escrocs ont piraté ou acheté des comptes pour vendre des formations fictives ou inutiles. Entre 2020 et 2022, des dizaines de millions d’euros ont été détournés, malgré les alertes.
Ces fraudes ont mis en évidence :
- des failles de sécurité dans l’application Mon Compte Formation,
- une absence de contrôle initial sur les prestataires référencés,
- et parfois une passivité des autorités face aux alertes de terrain.
b) Une offre pléthorique… mais pas toujours pertinente
Malgré Qualiopi, certains organismes peu scrupuleux continuent de proposer des formations :
- sans réelle utilité professionnelle,
- inadaptées aux besoins des entreprises,
- à la limite du marketing agressif.
Certains stagiaires sont démarchés par téléphone, orientés vers des formations « gratuites » dont l’objectif est de capter du crédit CPF sans garantie d’insertion ou de progression.
c) Une usine à gaz administrative ?
La multiplicité des dispositifs, des interlocuteurs (OPCO, France Travail, Régions, Transitions Pro…), des conditions de prise en charge et des règles de co-financement rend parfois le système opaque, lourd et difficilement lisible pour les bénéficiaires comme pour les organismes.
Cette complexité favorise :
- des erreurs de montage de dossiers,
- un éloignement des publics les plus fragiles,
- et un sentiment d’injustice ou d’exclusion chez certains demandeurs.
4. Vers une régulation plus équilibrée ?
L’État a commencé à réagir aux dérives en renforçant les contrôles, en bloquant les prestataires douteux et en introduisant une participation forfaitaire pour le CPF (mise en place d’une contribution de 100 € en 2024 pour freiner les abus).
Mais ces mesures soulèvent une question de fond : faut-il restreindre l’accès ou mieux accompagner les usagers ?
L’avenir de la formation professionnelle passe probablement par :
- une meilleure régulation des prestataires,
- un renforcement de l’accompagnement des bénéficiaires (via les Conseillers en évolution professionnelle),
- une clarification des rôles entre l’État et les partenaires sociaux.
Conclusion
Le rôle de l’État dans la formation professionnelle continue est à la fois fondamental et ambivalent. Garant de l’intérêt général, moteur des grandes réformes, il a su créer des outils puissants pour accompagner les parcours professionnels.
Mais en laissant se développer certaines dérives, parfois au nom de la liberté d’accès ou de la simplification numérique, il a fragilisé la confiance des usagers et la crédibilité du système.
Pour que la formation professionnelle reste un levier d’inclusion, d’évolution et d’employabilité, l’État doit retrouver son équilibre entre soutien, régulation et exigence. Car au cœur de cette politique, il ne s’agit pas seulement de chiffres ou de crédits à consommer, mais bien d’humains qui veulent apprendre, progresser et construire leur avenir.